J'ignore pourquoi j'ai décidé de passer la soirée ici, enfermée dans ce salon miteux. Non, mais c'est vrai quoi, j'aurai pu me trouver dehors à l'heure qu'il est, probablement en charmante compagnie. Mais non. « Dis oui, s'il te plaît, je ne peux pas manquer ce rendez-vous. » Bien sûr que j'ai dit oui, et je m'en bouffe les doigts maintenant. Garder des enfants c'est bien, mais garder sa sœur de cinq ans dont le passe-temps favori est de s'écraser le rouge à lèvres sur les joues pour jouer au clown, croyez-moi, cela vire vite à l'exaspération totale. Non pas que je ne l'aime pas, au contraire. Mais voilà. J'aimerai parfois disposer de mon libre-arbitre, histoire de pouvoir faire ce qui me chante -et quand ça me chante. Bref, le fait était que j'avais accepté de passer la soirée chez moi à garder le monstre barbouillé, qui était à présent au pays des rêves quand moi je gambadais dans le monde de l'ennui. Étalée sur le canapé, je ne parvenais pas à trouver une occupation correcte. La télécommande entre les mains, les yeux rivés sur la télévision, je passais mon temps à zapper. Film d'horreur ? non. Comédie musicale ? Eurk. Film à l'eau de rose ? Encore moins. Ah, mais attendez, Léonardo Dicaprio passe à l'écran ! Je me laissais finalement tenter par une énième vision de Titanic. Vous savez quoi ? Je trouve ce film complètement incohérent. Mettons-nous d'accord : il y avait deux places sur la planche. Je n'irai pas jusqu'à dire que Rose était avachie, mais enfin quand même, moi à sa place j'aurai tout donné pour sauver Léornado. A croire que n'avons pas les même priorités. Je savais qu'en optant pour ce film, j'allais passer la soirée -et sans doute la nuit- à chouiner sans fin. Dès le début du film, en plus. En fait, dès que j'entendis la musique, je ne pu m'empêcher de fondre en larmes. J'étais seule, dans une maison que j'essaie d'éviter le plus possible en principe -je n'aime pas l'ambiance qui y règne-, étalée sur ce canapé vert élimé, et j'étais alors persuadée que ma vie était un désastre et que la mort aurait été préférable à une telle situation. Moi, en train de pleurer devant un stupide film illogique, n'importe quoi ! J'entrepris de me ressaisir, m'installai plus confortablement et posai mes pieds sur la table basse. Je manquai par la même occasion de renverser mon verre de soda. Mince, j'aurai du réussir - passer la serpillère m'aurait occupée un certain temps, si l'on considère mes formidables aptitudes de nettoyage.

Malgré mes idées noires et mes conviction idiotes du genre "je suis la plus nulle du monde d'avoir accepté", "cette fête aurait été le grand tournant de ma vie" et "mon Dieu, Rodolphe doit être en train de peloter Mandy !", la soirée passait bien plus vite que prévu. Je manquai m'assoupir avant la fin du film et ce fut les yeux piquant et la tête dans les vapes que je me dirigeai vers la cuisine. La faim, ça ne se contrôle pas, les amis. J'ouvris le frigo, en sortit un Kinder Bueno et retournai m'affaler sur le canapé vert. Même le chien l'avait déserté. Comme quoi, je suis tombée bien bas. Alors que je mordais joyeusement dans mon repas du soir (ouais, je me suis dit qu'un régime à base de Kinder ferait des merveilles sur ma culotte de cheval), un coup fut frappé à la porte. C'est mort, j'ai la flemme de bouger, pensais-je avec amertume. J'avais été reléguée à passer la soirée vautrée, ce n'était quand même pas pour bouger ! Mais les coups recommencèrent. Visiblement, quelqu'un désirait venir à bout de ma porte. Je me levai en maugréant, donnant au passage un coup de pied à la bouteille vide de Coca qui traînait au sol. On dirait pas mais ça calme les nerfs. Les Kinder dans une main, j'allai ouvrir la porte, bien décidée à passer à savon à celui ou celle qui osait troubler mon repos à minuit passé. « Ouais, c'est pour quoi ? » On m'a dit un jour que j'étais une personne charmante et aimable. A mon avis, c'était ironique. « Excusez-moi... Est-ce que (prénom inconnu) habite ici ? » Coup du sort. « Ouais, vous l'avez en face de vous, là. » J'avoue que je n'avais pas fière allure. Les cheveux en bataille, un bas de pyjama Snoopy, un t-shirt blanc -oh non, la belle tâche de chocolat !- et des chaussons à têtes de lapins... Mon style laissait à désirer. Mais je me trouvais sexy, comme ça. Que voulez-vous, la jeunesse tourne mal. « Je suis navré de vous déranger à une heure pareille, mais on m'a demandé de vous livrer ceci au plus vite. J'ai fait ce que j'ai pu, mademoiselle. » L'homme -un coursier ?- me tendit un petit paquet, que je saisis sans trop réfléchir. Il me salue d'un signe de tête et s'en retourna, me laissant pantoise sur le pas de la porte. Qui c'était, ce clown ?

Je haussai les épaules, fermai la porte et retournai à ma place en traînant les pieds. Je posai le paquet sur la table et n'y prêtai plus aucune attention, replongeant dans le film. Oh non, c'était le moment où Jack coule. Nouvel hoquet de larmes hystériques, heureusement que j'avais des Kleenex sous la main, hein. Et bien malgré moi, comme toujours, le film s'acheva. Cette musique, bon sang, je devais couper le son ! Ce que je fis, m'évitant ainsi un nouvel assaut de larmes salées. Bon, voilà. Et maintenant ? Le tic-tac de l'horloge troublait le pesant silence qui venait de gagner la pièce une fois la télévision éteinte. J'avais froid et envie de dormir. Je me levai, n'oubliant pas de ramasser ma bouteille vide, et me dirigeai à nouveau vers la cuisine -vers la poubelle, en fait. C'est alors que je me souvins du paquet, gentiment posé sur la table basse. Je fis marche arrière pour m'en saisir et l'observai un moment, me demandant de quoi il pouvait bien s'agir. Je n'avais rien commandé. Peut-être que c'était destiné à ma mère ? Enfin personnellement, je n'avais encore jamais vu de facteur sortir de son lit pour livrer un truc à minuit et des bananes. non, ce devait être autre chose. J'allumais la lumière et m'installai à la table -la grande, pas la ronde et moche de la cuisine.

Ce paquet m'interpellait mais ne me faisait pas flipper. Étrange, hein ? N'importe qui aurait refusé. C'est vrai, cela aurait aussi bien pu être une bombe, signe d'une mort imminente. Mais j'étais de nature curieuse, au diable la paranoïa ! J'entrepris d'ouvrir le paquet en fredonnant. Cela faisait une présence dans la maison. Je n'aimais pas être seule, surtout dans un tel silence. Ouais, je sais, il ne faut pas regarde Mirrors trop souvent, autrement on finit sénile et complètement à cran. Je terminai de retirer l'emballage lorsque quelque chose d'étrange se produisit. Une musique envahit la pièce, très lointaine, presque sourde. On aurait dit une boîte à musique. Intriguée, je fronçai les sourcils. C'était quoi, ça ? Un truc pour me donner envie de crier ou quoi ? Déterminée à comprendre, j'ouvrai la boîte. Une douce lumière tamisée s'en dégagea, libérant avec elle une petite ballerine vêtue de blanc qui tourbillonnait sur un socle... De cristal. Bon sang, je n'avais jamais vu ça. Je restai longtemps ainsi, subjuguée par la beauté de la danseuse, la musique m'envahissant. C'était si... Magique. Les larmes menacèrent de s'évader à nouveau mais je serrai les dents. Ouais bon, c'était une boîte à musique quoi, rien de plus. Lassée de fixer une ballerine sans but, je refermai la boîte -elle était brune, je venais de le réaliser. Je la retournai, curieuse de savoir d'où elle pouvait bien venir. Une inscription était gravée avec finesse sur le bord gauche, et je du me forcer pour parvenir à la déchiffrer. Bonne nuit. Il n'y avait rien de plus. Je relevai les yeux, et mon cœur s'arrêta. Je croisai le regard profond d'une ombre, perçu son sourire étrange, animal, et ce fut le noir.



De plus en plus nombreux sont les nouveaux rêveurs. Oh, ils se plaisent à Pink Balloon. Ils jouent, ils se marrent, ils boivent beaucoup et ne se lassent pas de leurs jeux de séduction. Ils ne se rendent même pas compte que peu à peu, ils oublient leur vraie vie, celle d'avant leur profond sommeil. Seule une poignée de rêveurs parviennent à mettre le doigt sur quelque chose de louche, mais tout se dissipe ensuite comme une vague. Pourquoi dort-on ? Personne ne le sait. Mais au Diable toutes ces questions, il pleut des chips dehors, personne ne voudrait manquer ça !