Je me souviens. Enfin non, j’essaie. Il faisait froid. Tout n’était que neige et vent. Toutes les fourrures étaient sorties. Tout du moins, c’est ce qu’ils m’avaient raconté. Ils ? Mes parents, sans doute. Ça, je ne peux le préciser. Cette femme à qui je dois la vie criait de douleur. Stoïque, une personne, flou dans ma mémoire, était à côté d’elle. Il lisait un journal, ou quoique ça soit d’autre. Je ne sais plus qui il est. On m’avait tout conté de lui. J’ai tout oublié. Puis. J’ai montré le bout de mon visage. Les larmes de ma mère coulaient et humidifiaient le grand linge blanc qui la recouvrait. Lui, il sortit sa pipe et commença à en faire sortir quelques fumées. Les ongles de ma mère s’accrochaient à la bordure de lit, toute de bois faite. Soudainement, après un hurlement strident, j’étais né. Je restais là, comme une larve abandonnée. L’indifférence faisait maitre sentiment tout autour de mon corps chétif. J’étais semblable à un petit cactus tout de sang taché que personne ne voulait toucher. On aurait même pu croire, à la vue du regard dégouté de l’être situé à côté du lit de la femme m’ayant donné vie, que j’étais habillé de chilopodes velus.

Après quelques minutes seulement, cette femme au visage encore détruit me prit dans ses faibles bras. Elle m’avait cité les quelques murmures qu’au creux de mon oreille, elle m’avait soufflé. Ses cheveux étaient sales. Tout autant que moi. J’étais aussi misérable qu’un rat affamé. Elle avait attrapé un couteau plus ou moins propre et lisse qui était posé sur sa table de chevet. D’un coup rapide et sans hésitation, elle trancha ce cordon qui nous unissait. J’étais désormais arraché. Plongé dans ce monde sombre et putride. L’ombre floue était toujours située à ses côtés, sans avoir esquissé le moindre geste. Qui qu’elle soit. Elle se fichait de ma venue au monde. Je ne peux me souvenir que de ses deux grands yeux d’un noir parfait. Je les imagine regarder ce tas de chair et de sang plus laid qu’un opossum en colère que j’étais. Cette femme qui m’avait donné mon premier souffle, ma première respiration, avait ensuite fermé ses paupières, lourdement. J’étais abandonné dans ce monde, entouré de deux bras osseux et observé par deux yeux ne désirant qu’une chose, que je disparaisse.

___

Petit, j’étais plutôt touche à tout. Tout m’intéressait et j’étudiais la moindre chose que je rencontrais. J’étais seul avec cette grande blonde au sourire faux qui me servait sans doute de mère. L’être flou revenait de temps en temps à la maison puis il repartait dans un lieu qui m’est inconnu. Je vivais dans une énorme maison dont chaque mur était une fortune. Il m’arrivait même de m’y perdre. Je ne sais pas d’où venait cet argent. Ce sujet était très tabou, j’en ai vaguement souvenir, c’est d’ailleurs la seule remembrance que je dispose en rapport avec la parole. Quiconque parlait de monnaie, finissait par être viré de la maison, autant ma mère que moi. D’ailleurs, le moindre mot était risqué. Nous n’avions pas le droit de nous exprimer dans cette gigantesque résidence. Chacun vaquait à ses occupations sans s’occuper des autres. Seuls les repas étaient partagés et plus ils étaient courts, mieux la situation était. C’est sans doute de là que vient la réticence que j’ai à manger, bien que je ne dirai jamais non à un bon plan bien cuisiné mais toujours à déguster seul. Ma mère avait une peur bleue de cette entité. Elle l’esquivait sans cesse. Parfois même, elle ne dormait pas de la nuit pour ne pas s’approcher de lui.

Moi, je menais ma vie de moi-même. Chaque jour, je devais travailler dans la grande bibliothèque, il me semble que j’avais un minimum d’heure à « remplir » et si je ne les remplissais pas, j’avais aussi une punition, mais sachant que je passais la quasi-totalité de mes journées à étudier, je n’ai plus aucune idée de quelle pouvait être cette punition. J’adorais tout ce qui était écrit, dessiné ou même plus globalement, tout ce qui pouvait m’apprendre quelque chose. Je me sentais aux anges lorsque je rejoignais mes sources de savoir infinies. J’avais l’impression d’être supérieur aux autres, de connaitre des choses que très peu avaient appris. Et puis, dans cette pièce remplie de manuscrits, archives et documents, je n’avais personne pour me lorgner ou me juger. Parfois, je m’inventais des amis, tous aussi intelligent que moi mais pas plus. Ils m’aimaient, je crois, on passait de bons moments à parler de révolution, de peintures ou même de littérature étrangère. C’était pitoyable. Je n’étais fait que de ramassis de connerie. Je méritais de recevoir des coups et bien puissants, pour comprendre à quel point j’étais idiot et arrogant, sans aucune raison de l’être.

J’étais tout ce que je déteste à présent, un gamin, arrogant, immature et egocentrique. Je méritais des baffes. Je n’étais qu’un de ces déchets de fils à papa, ou plutôt là en l’occurrence fils à maman, qui n’avait aucun soucis à vivre et dont la seule occupation était d’apprendre. J’aurai mieux fait de m’occuper de ma mentalité plutôt que de mes connaissances. Tss. Idiot.

___

Je suis sorti de chez moi pour la première fois à l’adolescence. C’était un jour plutôt chaleureux, entendez par là une température avoisinant les cinq degrés. Je ne sais plus exactement où et pourquoi je devais aller dans ce village de campagne. « L’ombre » m’avait accompagnée. Ou peut-être étais ce moi qui l’accompagnais. Je me souviens du regard des gens, ces gueux ne méritant aucun respect. Ils s’accrochaient à mes pieds, mendiant une piécette, je me contentais de leur cracher au visage avec tout l’orgueil que je pouvais avoir. Il m’avait amené jusqu’à une maison à enseigne. Je ne me souviens plus quel artisan y travaillait, ni même ce que j’y ai fait. Je me souviens juste d’avoir été terrorisé ce jour-là. De part ce qu’il s’était passé dans cette maisonnée mais aussi de voir tout ce monde pauvre, pathétique et stupides. J’avais décidé de tout faire pour ne pas être comme ces inconscients sans aucune culture ni avenir. Pour rien au monde, je n’aurai voulu être comme ceux chiens.

___

Ma vie d’adulte, je ne m’en souviens que pour une seule chose. Ou plutôt une seule personne. Une femme. Le coup de foudre total, autant pour elle que pour moi. De tous mes souvenirs, c’est celui dont je me souviens le mieux. Je pourrai redessiner la moindre de ces courbes, la moindre de ces expressions. Elle était radieuse, je ne pouvais résister à la puissance envoutante de ces deux yeux sombres, ni à l’envie de poser mes lèvres sur les siennes. Tout était si fusionnel. Le désir qui existait entre nous était incontrôlable et l’amour qui l’accompagnait rendait les choses tellement magiques. Chaque seconde de ma vie lui était voué. Elle m’avait fait prisonnier. Mon cœur était sien, ainsi que tout mon être, jusqu’à mon âme. Ce qu’elle désirait, je lui offrais. J’étais un de ces stupides crétins croyant à l’amour. Je faisais en sorte de la rendre heureuse, mais aucune femme ne peut être heureuse, tout ce qu’elles désirent, c’est toujours plus que ce que leur offre. Essayez de la surprendre, de lui montrer votre amour, de la rendre heureuse, elle vous enfoncera, demandant des efforts encore plus puissants.

Les premières années passées ensemble me transforma totalement, je trouvais un nouveau plaisir à ma vie. Et, bon sang, quel plaisir. Chaque nuit, quand elle n’était pas à mes côtés, je rêvais d’elle. Mon cœur ne battait que pour elle. Elle était tout ce que je désirais, elle me complétait et me rendait heureux. Elle me promettait la lune et toutes ses étoiles, j’en faisais autant. Elle me disait l’amour de sa vie, celui qui lui était destiné. J’y ai cru. Je pensais que la vie était faite pour être belle et pour être plaisante. J’étais loin de la réalité. Les choses allaient tellement vite, les jours s’écoulaient, je me liais rapidement à elle par le mariage. Nous jouissions d’un amour incroyable et de désirs chaque jour plus puissant. Je n’aurai jamais cru un instant que tout ceci pouvait s’arrêter. Je ne peux me remémorer de tous les détails, bien que sans doute important. Peut-être avons-nous eu une progéniture, peut-être que durant cette période la femme m’ayant éduqué et sa terreur floue étaient morts, peut-être avais-je un métier. Tout ceci, je n’en ai aucune idée.

Puis, je rentrais dans le cauchemar. Nos cheveux grisonnaient. Nous approchions de la cinquantaine. La passion qu’elle avait pour moi dans le passé avait complètement disparu, j’étais comme un poids à sa vie. Je ne sentais plus aucun sentiment de sa part. Souvent, nous nous disputions. Mais jamais je n’ai levé la main sur elle. Chaque jour était plus infernal que le précèdent, je ne trouvais plus gout à la vie, à vrai dire. J’étais perdu dans ce monde remplis de haine et de dégout. Plus rien ne me donnait envie, je m’enfermais chez moi, éloigné de ce qui était ma femme. Un jour, après une habituelle rencontre médicale, le médecin familial me conseillait de prendre l’air avec ma dulcinée, allez ailleurs, voir de nouvelles têtes, de nouveaux horizons. Après une nuit de réflexion, j’avais jugé l’idée bonne.

Pour aller à la gare, nous étions dans notre toute neuve Chevrolet Corvair, ou quelque chose comme ceci. Durant tout le trajet, elle n’avait pas dit un mot. Elle fixait la route, sans un regard perdu. Rapidement, nous arrivâmes à la gare. J’avais très peu eu l’occasion d’y aller par le passé et je ne pus m’empêcher un rictus en voyant les dalles boueuses servant de sol. Il y avait un monde fou. Tout le monde se bousculait sans s’excuser. Nous étions en avance et notre train n’allait pas arriver avant une dizaine de minutes. Puis, vint le drame. J’observais hargneusement l’heure de ma montre et une douleur inégalable me coupa le souffle. Ma vue se troublait et je ne pus voir que celle que j’avais aimé sans aller au loin poussant les passants en courant loin de moi. Mon corps entier me lâcha, quelque chose était planté dans mon dos. Ma tête heurta lourdement le sol. Tout devint noir.

___

Je ne sais pas comment, mais je suis tombé dans ce lien inconnu. J’étais seul. Je vagabondais longtemps sans comprendre ce qui m’arrivait. Souvent, il m’arrivait de pleurer en me lamentant. Ridicule. Je compris rapidement que je n’étais plus sur terre et que ce monde, c’était à moi de le construire. J’entrepris de délimiter tout le territoire disponible puis, je m’installais au point le plus éloigné. Sans comprendre comment, je parvins à y construire une sorte de cabanon en bois. Je passais mon temps à créer, en général des livres. Plus les années passaient et plus mon « logis » grandissait. Après une décennie, je vis que je n’étais pas seul dans ce monde, d’autres viendraient me perturber. Je me cloisonnais dans mon habitat. Je me retrouvais dans un espèce de manoir, semblable à celui que j’avais au tout début de ma vie. Il était grand mais cependant, beaucoup plus rempli de livres ou d’objets d’art. Il n’y a qu’une seule que je n’arrivais pas à créer. Un jardin. Toutes les plantes et fleurs y fanaient instantanément, aucun végétal n’arrivait à exister dans cet espace.

Cette incapacité à faire fleurir m’a sans doute ouvert une porte vers un renouveau. Un jour, quelqu’un frappa chez moi pour la première fois. Je fus d’abord surpris puis énervé mais lorsque j’ouvris la porte, une frêle créature se tint devant moi, un sourire illuminant son visage. J’hésitais. Je ne savais pas si la remettre à sa place serait utile. Instinctivement, je jetais un regard par-dessus elle. Les fleurs étaient resplendissantes et leurs couleurs étaient vives. Interrogatif, je demandais à cette jeune femme si elle était responsable de ce changement. D’un hochement de tête, elle acquiesça. Je la fis entrer.

Depuis ce jour, elle revient souvent. Je considère Electre comme ce que j’ai de plus cher. Elle m’a appris à vivre, à revivre. Je ne me dirai pas plus chaleureux depuis que je la connais mais il m’arrive de sortir de mon abri pour découvrir de nouvelles choses.

Et tout n’est pas beau à voir…

Dans les grandes lignes, je m'appele Antoine, j'ai quinze ans, j'habite dans la seule region respectable de la France (Oui, on parle bien de la Bretagne), le reste, vous le verrez bien assez tôt. u_û.