« Je m'appelle Léandre Angus Murray. Ça sonne plutôt bien, non ? Mais c'est aussi plutôt banal. Je ne prétends pas sortir de l'ordinaire, non, loin de là. Je vais vous parler un peu de moi, peut-être que cela pourra m'aider à vendre mes saletés de bouquins. Mh. Je suis fils aîné d'une petite fratrie. A vrai dire, je crois que je t'ai toujours été le préféré, surtout avec mes grands-parents. Le culte de l'aîné, l'héritage, tous ces trucs là, je les connais bien. Mes deux jeunes sœurs jumelles, Emeline et Joana, sont un peu comme une raison de vivre pour moi. Elles sont mon oxygène, ma motivation. Il faut dire que depuis que je dors, il ne se passe pas une journée sans que mes songes ne s'envolent vers elles. Comme j'aimerai qu'elle me voient ! Elles doivent se faire du souci pour moi. Nous n'avons plus de parents depuis six ans. Ma mère a quitté mon père lorsque j'avais sept ans et les filles trois et mon père est décédé il y a deux ans. Crise cardiaque. Une mort banale, elle aussi, et puis mon père n'était plus tout jeune. Je crois pouvoir dire qu'il a eu une jolie vie : PDG d'une grosse société suisse, j'ai hérité de tout l'argent à sa mort. Je venais de quitter ma femme et cela m'a permis de vivre un peu mieux. Je parle de tout en même temps, excusez-moi, ce sont les souvenirs, ça. Ils me rendent un peu nerveux. Je vais donc reprendre. J'en étais à moi gamin ; un petit crack, oui ! Tout le monde m'aimait bien, je crois. En tout cas j'avais plein d'amis. Mon père a fait de son mieux pour m'élever après le départ de ma mère et je me suis toujours fié à ses valeurs. C'est grâce à lui que je suis si bien éduqué, d'après ma grand-mère. Tant mieux, au moins je donne une bonne image de lui ; il était mon modèle, mon mentor aussi. Il ne m'a jamais laissé tomber, même dans la galère. Ah, oui, c'était un très bon père.

Et moi, j'étais un excellente élève. Dès mes premières années d'école, d'ailleurs : mes professeurs ne cessaient de me complimenter à ce sujet mais je ne pense pas avoir pris la grosse tête. J'ai ainsi décidé de devenir avocat alors que j'avais à peine dix ans. Et j'ai suivi fidèlement cette route avec le soutien de mon père qui a toujours cru en moi. Quant à mes soeurs, je les savais prêtes à m'aider en cas de pépin. Il n'y a pas à dire, j'ai vraiment eu une famille en or. Les choses se sont un peu compliquées lorsque j'ai obtenu mon diplôme de droit. J'ai rencontré une fille à la fac et les choses se sont faites d'elles-mêmes. J'avais 21 ans, j'étais jeune et intrépide. Et surtout, j'étais fou amoureux d'elle, alors nous nous sommes mariés. Je ne suis pas un salaud, j'ai toujours été honnête avec elle. Notre union a duré six ans et ce furent les plus belles années de ma vie, jusqu'à ce qu'elle ne me quitte pour un autre. Encore et toujours de la banalité. Cela fait maintenant cinq ans. Oh, oui, j'y pense encore, parfois ; je me dis qu'heureusement nous n'avons pas eu d'enfants -elle ne pouvait pas en avoir. Mais à cause d'elle, je suis maintenant incapable de faire confiance et je redoute les femmes. J'ai eu quelques liaisons entre-temps mais rien de bien sérieux. Elles n'en avaient qu'après mon argent, c'est un des problèmes de l'héritage colossal de la société de mon père. Mais quoi qu'il en fut, je n'étais pas malheureux : mon cabinet d'avocat marchait très bien, j'avais de bons amis et mes soeurs étaient là, inébranlables et fidèles au poste.

Tout allait bien jusqu'à ce matin d'Octobre 2008. Je m'en souviens comme si c'était hier. J'ai allumé la télévision, il y avait la rediffusion d'un concert pour violon. Et je me suis endormi. Je ne l'ai pas réalisé tout de suite, au début je pensais simplement que je faisais un rêve banal. Mais le rêve dure depuis presque deux ans et demi déjà et moi, je dors encore. J'imagine sans peine mes sœurs. Qu'ont-elles fait de mon corps ? Je n'en sais rien. Et le pire, c'est que j'oublie peu à peu leurs visages, le son de leurs voix et leurs rires si angéliques. Elles me manquent affreusement. J'ai refait ma vie ici, bien malgré moi. J'aime ma vraie vie, celle que j'ai construite sans un claquement de doigt, pas comme ici. Mais je n'ai pas eu le choix. Au début fermement opposé à cette ville qui est devenue mon lieu de vie, je n'avais qu'une envie : me tirer de là. Mais les jours ont passé et j'étais toujours là, comme un gros con. Un gros con banal entouré d'autres cons. Je me suis fait une raison et je fais à présent partie des "anciens" de la ville. Bon sang, déjà plus de deux ans. Le temps passe affreusement trop vite et je ne peux pas le retenir. J'ai des amis ici, il y a de belles femmes. Mais il y a aussi ces satanés Daft Addicts qui sèment le trouble et qui font de la ville un lieu d'anarchie. Heureusement, ils n'osent pas trop me chercher des noises, j'ai la paix. Mais je plains grandement les autres, oh oui. Que nous réserve l'avenir ? J'aimerai tant me réveiller ! Mais d'un autre côté, je ne voudrai pour rien au monde oublier tout ce que je vis ici depuis que je me suis endormi. Si quelqu'un m'entend, dites à mes sœurs que je vais bien. Je suis heureux, je crois. Ouais, je crois bien.

Je suis un individu hermaphrodite et non identifié qui arpente le web en quête du Graal. Peut-être l'ai-je d'ailleurs trouvé en m'inscrivant ici ? Je pense pouvoir venir tous les jours sans faute sauf si j'ai un imprévu (ce qui arrive des fois, vu mes amis). Mais je ferai toujours de mon mieux pour être à jour partout, c'est ça le plus important. Je trouve ce forum génialissime, ça me donnerait presque envie de faire des saltos arrières. Non, je rigole, je risquerai de me casser quelque chose.